« A chaque fois que vous jouez un coup autrement que si vous connaissiez les cartes adverses, ils gagnent. A chaque fois que vous jouez un coup comme si vous connaissiez les cartes adverses, vous gagnez. Inversement, à chaque fois que les adversaires jouent un coup autrement que s’ils connaissaient vos cartes, vous gagnez. A chaque fois que les adversaires jouent un coup comme s’ils connaissaient vos cartes, ils gagnent ».
Tel est le théorème dit « fondamental » initié par David Slansky, célèbre auteur du milieu du poker.
Le poker est un jeu dit d’informations incomplètes et de ce fait une grande partie du jeu consiste à tenter de combler ces vides inconnus afin de pouvoir prendre « la » décision optimale, le plus important de ces vides étant tout simplement « qu’est ce que mon adversaire a en main ? » voici quelques notions de base concernant la lecture de mains adverses qui pourront peut être vous aider.
Avant propos : le but d’une « lecture » est, comme dit précédemment, de tenter de combler des vides afin de nous éclairer dans un choix, pour que celle-ci puisse jouer pleinement son rôle elle doit être le fruit d’une analyse. Plus cette analyse sera construite, plus nous serons éclairer dans notre choix.
N’ayant malheureusement aucun 6éme sens ou don de voyance et un regard critique sur ce peut être « l’intuition » cet article ne fera état que d’éléments concrets et rationnels de jeu.
Dit moi qui tu es, je te dirais qu’elle est ta main.
Il est coutume de dire au poker que ce ne sont pas les cartes qu’il faut jouer mais les adversaires, ce qui, convenez en, est tout de même plus commode puisque dans le meilleur des cas nous ne connaissons que 7 cartes sur 52 pour prendre une décision alors que nos adversaires nous les avons juste sous les yeux, et ce parfois depuis un petit moment, ou mieux encore ils nous sont décrits sous toute les coutures par notre tracker pour ce qui est du jeu online.
Le profiling de l’adversaire est l’un des éléments les plus importants de la lecture. En fonction d’un style, vous pouvez d’ores et déjà évaluer la range de mains de votre adversaire dans une situation précise. Cette évaluation sera plus ou moins précise en fonction du style concerné : un joueur tight/passif qui relance en début de parole aura très souvent une main forte tandis qu’un joueur loose/agressif qui relance en début de parole aura quand à lui parfois une main forte, parfois une main moyenne et parfois une merguez aussi. Mais il n’est pas toujours aisé de traduire de manière concrète un style, qu’il soit tight ou loose, en une range de mains plausible. Voici une vague idée du range de mains que vous pouvez attitrer à différents pourcentages de vpip (volontary put in pot, ce qui correspond aux mains où de l’argent à était mis volontairement dans le pot, c'est-à-dire hors Blinds):
5%= « 99+, AK, AQ »
10%= «66+, AK, AQ, AXs, KQs, QJs »
15%= « 22+, AXs, suited connector 78s+ »
20%= « 22+, any broadway, suited connector 78s+, AXs »
25%= « 22+, any broadway, suited connector 45s+, AXs »
30%= « 22+, any broadway, suited connector 45s+, AXs, KXs »
40%=« 22+, any broadway, any suited connector, AXs, KXs »
50%=« 22+, any broadway, any two suited, AX, KX »
Cette liste n’est pas exhaustive, par exemple certains joueurs avec un vpip de 25% ne joueront pas les connectors trop faibles comme 45s, 56s mais joueront à la place quelque KXs etc… Toutefois elle est suffisante pour ce faire idée un peu plus précise de la force d’une range relative au différent style de jeu préflop.
A noter que nous évaluons le jeu de notre adversaire en terme de range, c'est-à-dire un panel de mains, il est très rare, voire exceptionnel, de pouvoir attitrer une main ou type de mains précise à notre adversaire, surtout préflop. Une lecture doit se faire de façon la plus objective possible, c'est-à-dire en fonction de ce que vous savez mais également de ce que vous ignorez. Tenter de combler ces ignorances à tout prix pour préciser votre lecture rendra cette lecture totalement subjective et donc sans intérêts. Vous devez raisonner en terme de range.
Me voila bien avancé me direz vous, mais le style de jeu n’est pas le seul élément à prendre à compte pour un bon profiling : les habitudes de mises (schéma d’enchère ou betting pattern), l’état d’esprit de l’adversaire (scary money, bubulle factor ou au contraire désespéré), votre historique de jeu contre ce joueur et parfois même son degré d’opportunisme dans les spots favorables sont autant d’éléments à prendre en compte. Il vous faudra également réévaluer ce profiling à chaque changement de situation c'est-à-dire aux différentes positions (début, milieu ou fin de parole, situation de bataille de blinds etc…), à chaque street (un joueur loose préflop ne l’est pas forcément postflop), à chaque variation de stack (certains joueurs deviennent très conservateur lorsqu’il réussissent à monter un stack, d’autres au contraire élargissent leur range, ect…), à chaque changement de période stratégique pour ce qui est des tournois (période de rebuy, bulle, table finale, ect…).
Le board et le bet.
Lorsque vous êtes parvenu à mettre en place un profiling fiable de votre adversaire, vous pouvez alors déterminer une range de mains préflop que vous attitrerez à votre adversaire en fonction de la situation, ce sera là votre lecture de base.
Cette lecture de base, il vous faudra y faire référence tout au long du coup et tenter de l’affiner autant que faire se peut, et ce, notamment en mettant en relation les actions menées par votre adversaire et le board qui est dévoilé afin d’éliminer un certain type de mains de sa range ou d’en favoriser d’autres. Pour ce faire, vous devrez prendre en compte divers éléments tel que le profil de votre adversaire, encore et toujours, ses habitudes de mises tel que sa fréquence de continuation bet par exemple, mais également la texture du board et vous devrez réévaluer tout ceci à chaque street, flop, turn et river afin de faire évoluer votre lecture.
Chaque street est le chapitre d’une histoire, le board en est le cadre , la main de départ de votre adversaire un personnage , et ses actions sont la façon dont ce personnage évolue dans cette histoire, à vous de les relier les un aux autres et d’imaginer alors si vous vous diriger vers un happy end ou une fin tragique.
Ce ne sera là, la plupart du temps, qu’une question de logique. Si le cadre de l’histoire évolue fortement comme un tirage qui rentre, l’apparition d’une doublette ou d’une over card et que votre adversaire, quant à lui, continue de faire évoluer son personnage de la même manière c’est qu’il doit y avoir une raison. Inversement si le cadre n’évolue quasiment pas mais que votre adversaire change sont fusil d’épaule, il doit sûrement y avoir également une raison. A vous maintenant de recouper toutes les informations que vous possédez pour déterminer quelle peut être cette raison.
You talking to me ?
Nous avons évoquer dans le chapitre précédent l’histoire que nous raconte notre adversaire mais nous avons peut être oublié un élément ou plutôt un personnage : le vôtre ,(enfin vous et votre main). En effet, si vous vous efforcez de considérer vos adversaires, de leur attitrer une image ou un style et d’agir en fonction de leurs considérations, il va de soit que la plupart d’entre eux tentent de faire de même à votre égard et de ce fait votre propre image aura la plupart du temps une influence sur les actions de vos adversaire lorsque vous êtes confrontés l’un à l’autre, cette influence sera plus ou moins importante en fonction du niveau de réflexion de votre adversaire.
Ont peut distinguer 3 niveau de réflexion de base:
Niveau 1 : « quelle est ma main ? »
Niveau 2 : « quelle est la main de mon adversaire ? »
Niveau 3 : « quelle main mon adversaire pense t’il que je possède ? »
Lorsque votre adversaire raisonne au niveau 1, votre image n’aura quasiment aucune influence sur sa façon de jouer puisqu’il ne prend en compte que la force de sa main pour prendre ses décisions. Vous n’existez pas ou très peu dans son processus de réflexion. Face à ce genre de joueur, vous vous devez de raisonner au niveau 2 et uniquement à ce niveau, raisonner au niveau 3 serait une erreur puisque vous considéreriez que ses actions soient en partie guidées par l’idée qu’il se fait de votre main, ce qui n’est pas le cas.
A noter toutefois que si votre image n’influe pas dans le processus de réflexion de ce genre d’adversaires, elle peut tout de même influencer son état d’esprit à moyen ou long terme. Par exemple un style loose/agressif peut parfois provoquer un agacement lié à la pression que ce style impose et peut donc inciter un adversaire à vous payer non pas parce qu’il pense avoir une meilleure main que vous mais uniquement par simple ras-le-bol.
Lorsque votre adversaire raisonne au niveau 2, votre image, votre style, vos actions et votre historique auront alors une influence sur la réflexion de votre adversaire et donc la plupart du temps sur sa façon de jouer puisqu’il se soucie autant de ce que vous pouvez avoir que de ce qu’il a lui même en mains. Face à ce genre de joueurs vous vous devez de raisonner au niveau 3, c'est-à-dire considérer également la ou les mains que vous représentez aux yeux de votre adversaire et d’évaluer l’influence que cela a sur ces actions.
Prenons un exemple concret : vous êtes un joueur solide, tight/agressif et vous faites face à un adversaire dont vous estimez qu’il raisonne au niveau 2.
-Vous relancez à 3BB en milieu de parole votre AK et vous êtes suivi par le bouton.
-Vous décidez de checker le flop hauteur 8 sans tirages possibles, votre adversaire décide de miser à hauteur du pot, vous payez sa mise en espérant améliorer votre main à la turn.
-La turn est un 2 qui ne change pas grand-chose, vous checker à nouveau et votre adversaire mise à nouveau hauteur du pot.
Le fait est qu’ici vous représentez exactement la main que vous possédez, c'est-à-dire une simple hauteur as, à vous de savoir maintenant l’influence que cela peut avoir sur les actions de votre adversaire, pourquoi alors que je représente une main faible mise t’il aussi cher à 2 reprises ? etc…
Lorsque votre adversaire raisonne au niveau 3 c’est là que les choses se compliquent car vous faites face à un joueur qui joue en fonction de sa main, en fonction de la votre mais également en fonction de l’idée que vous pourriez vous faire de sa main. La bonne nouvelle, c’est que si votre adversaire joue de cette façon face à vous c’est qu’il estime que vous raisonner au moins au niveau 2 et qu’il accorde donc un certain crédit à vos actions, ce qui vous offre quelques armes techniques supplémentaires pour pouvoir développer un jeu construit. La mauvaise nouvelle c’est que lui en possède tout autant et que la bataille risque d’être rude, et ce sera pire s’il estime que vous raisonner non pas au niveau 2 mais au niveau 3.
Plus le niveau de réflexion est élevé plus les lectures deviennent difficile puisque une fois ce 3éme niveau de réflexion atteint vous entrez dans un processus de « levelling » c'est-à-dire une sorte de surenchère dans le développement de ce 3éme niveau, comme nous l’avons dit auparavant vous vous devez de réfléchir un niveau juste au-dessus de votre adversaire, si votre adversaire « pense que vous pensez », vous devez alors « pensez, qu’il pense, que vous pensez », si votre adversaire « pense, que vous pensez, qu’il pense » vous devez alors « pensez, qu’il pense, que vous pensez, qu’il pense » etc.… le problème étant ici de déterminer le juste niveau de réflexion de votre adversaire afin de ne pas vous « auto-level » c'est-à-dire de réfléchir non pas juste un niveau au-dessus de votre adversaire mais 2 ou 3 ce qui vous induiriez en erreur.
So tell me what you want, what you really really want…
Les tells (ou indices en français) sont souvent considérés comme des éléments à prendre en compte pour réaliser une lecture. Ce qui n’est pas tout à fait vrai, ils ne sont en réalité que de petits plus qui vous permettront, lors d’une décision difficile à prendre, de faire pencher la balance d’un côté ou d’un autre.
Comme nous l’avons souligné dans le premier chapitre de l’article, vous vous devez de réaliser vos lectures en terme de range de mains, ce qui vous mettra le plus souvent dans une situation délicate puisque en général votre main sera capable de battre une partie de la range de votre adversaire mais sera battue part une autre partie, vous devrez alors évaluer laquelle de ces parties est la plus importante, si c’est celle que vous battez vous pencherez vers un call, si c’est celle qui vous bat vous pencherez vers un fold, à noter d’ailleurs que de ce fait il est tout à fait possible de réaliser une lecture correcte et de faire malgré cela un call perdant, un lecture à pour but d’évaluer un risque pour nous permettre d’agir de manière optimale vis-à-vis de ce risque et, mise à part si vous détenez les nuts, le risque 0 n’existe pas. Mais que se passe-t-il si ces deux parties vous semblent d’égale importance? Ce n’est qu’a ce moment là que ces petits plus, que peuvent être les tells, vous seront d’une aide significative pour faire pencher cette fameuse balance.
Ils sont toutefois à prendre avec précaution, surtout en ce qui concerne les tells physiques : souvent romancés à l’image d’un teddy KGB écoutant le chant d’un biscuit lorsqu’il a une bonne main, ils sont en général bien plus subtils à déceler et encore plus à interpréter, un même tell peut parfois vouloir dire tout et son contraire. C’est pour cette raison que je ne m’étendrais pas trop sur ce sujet, des ouvrages entiers y sont consacrés si toutefois cela vous intéresse.
Mais les tells physiques ne sont pas seuls en la matière, d’autre tells plus « évidents » peuvent vous aider de manière plus concrète dans vos décisions, comme les timings tells ou les stacks tells par exemple.
Les timings tells : entendez par là le temps que met votre adversaire à prendre une décision. On dit souvent qu’une mise payée rapidement correspond à une main moyenne ou un tirage, le prix demandé à votre adversaire lui convient parfaitement il s’empresse de le payer pour voir s’il va améliorer sa main. Cela peut également vous donner quelques indications sur son degré de réflexion : cela prend plus de temps d’évaluer sa main, celle de son adversaire et l’idée qu’il se fait de la notre que de simplement évaluer sa main, prenez garde tout de même à également évaluer l’expérience du joueur, un joueur très expérimenté mettra moins de temps à analyser un grand nombre de paramètres qu’un joueur débutant n’en mettra à simplement compter les outs qui pourraient lui donner la main gagnante.
Les stacks tells : il s’agit là des phénomènes de commitment, c'est-à-dire d’engagement dans un pot, un joueur qui investit 80% de son stack dans un coup exprime clairement son intérêt pour celui-ci, à contrario un joueur qui calibre ces mises afin de ne pas trop entamer son tapis peut vouloir dire qu’il se laisse une porte de sortie. De la même manière les intérêts particuliers qui sont portés sur votre tapis peuvent traduire le fait que votre adversaire cherche à savoir si il lui est possible de vous faire sortir du coup ou si au contraire vous êtes dans l’obligation de payer n’importe quelle mise.
Il ne vous reste plus qu’à savoir que si les tells existent, les contre-tells ou faux tells existent eux aussi et feront parfois partie de l’arsenal de vos adversaires qui tenteront par là de vous induire en erreur.
Conclusion
Il n’existe pas de pensée unique, vos adversaires ne pensent pas forcément de la même manière que vous, certains ne pensent même pas du tout (inutile de tenter de comprendre leur raisonnement si ils n’en ont pas). Mais qu’ils jouent «bien» ou «mal», de manière « classique » ou « étrange » là n’est pas la question, c’est à vous de vous adapter tout en sachant que si vous vous adaptez eux le feront aussi et que vous devrez alors vous réadapter à nouveau et ce continuellement.
La lecture des mains adverses est un outil indispensable pour espérer pouvoir développer un jeu construit et technique, soyez rationnel et objectif, ne raisonnez qu’en terme de range et faites vous confiance, seul les joueurs du plus haut niveau ne font jamais d’erreur ou plutôt ils n’en font plus. C’est simplement qu’ils ont su apprendre de celles qu’ils ont fait part le passé.
N’hésitez pas à vous exercer en participant aux parties hand discussion que vous pourrez trouver sur les forums spécialisés, elles vous permettront de confronter vos analyses à celle d’autres joueurs et éventuellement d’avoir un avis extérieur sur votre mode de raisonnement afin de l’étoffer.
J’espère que ces quelques notions pourront vous aider dans vos parties à venir, à vous les heros call et good luck à tous
.
