Dernier exemple: eurosport.com
Lettre ouverte d'un de leurs journalistes.
Il y a des passages intéressants.
Cher Florian,
C'est la première fois que je t'écris, mais je te propose qu'on se tutoie. Je crois que tu étais encore à l'école maternelle quand j'ai commencé ce métier. Tes confrères de toute génération et de tout niveau pourront te confirmer que j'ai toujours eu cette façon de faire avec les joueurs. Pas de chichi entre nous.
Certes, on ne se connaît pas. La seule fois où j'ai eu affaire à toi dans le cadre de mon métier en dehors du commentaire de tes prestations, c'est quand tu as posé un lapin, puis deux, à l'un de mes journalistes qui s'était déplacé en Corse et qui avait repéré ton talent avant qu'on ne parle de celui-ci à Téléfoot. Il nous avait prévenu que ta parole n'avait pas énormément de valeur mais, je l'avoue, jamais je n'aurais imaginé que tu en fasses la démonstration à la France entière avec autant de détermination qu'en ce moment.
Avant d'écrire à mon tour ce que je pense du pathétique feuilleton dans lequel tu t'es engagé en remettant en cause ton engagement avec le LOSC, je te précise que je n'ai rien contre toi. Tu trouveras trace dans les archives de ce site de contenus qui te promettent l'équipe de France A dès cette saison. Etant membre du panel de journalistes internationaux de l'agence new-yorkaise AP, qui propose de désigner chaque week-end les dix meilleurs joueurs ayant évolué la semaine d'avant dans tous les championnats, j'ai coché deux fois ton nom dans la liste la saison dernière. Par mon vote bienveillant, des gens qui, hors de France, n'auraient, au mieux, entendu parler de toi que cet été avec le Mondial U20, ont été alertés de l'éclat de ton talent bien plus tôt. Surtout ne me remercie pas : je n'ai fait que mon travail. C'était sincère et proportionnel à l'estime que je porte au footballeur que tu es.
Florian, je brûle d'envie de te classer à nouveau entre Messi, Götze et autres Van Persie dans ces petits classements éphémères du lundi. Mais pour cela, ou plus basiquement pour jouer en équipe de France, ce qui correspond plus probablement à tes objectifs, il va falloir satisfaire une condition importante : il va falloir que tu joues au football ces prochaines semaines. Le LOSC te rémunère, dit-on, 45.000 euros par mois pour le faire sous ses couleurs. Pour n'importe quel jeune homme de vingt ans vaguement décidé à tenter sa chance dans le football professionnel, voilà qui constituerait un excellent point de départ. Mais pas pour toi. Toi, tu veux jouer à l'OM et, pour cela, tu tentes une improbable grève de l'entraînement qui te vaut aujourd'hui au mieux des moqueries, au pire des attaques. Permets moi, Florian, avec toute la bienveillance de celui qui a envie de te voir hausser le niveau du Championnat de France, de t'aider à analyser la situation en te donnant des éléments que, visiblement, ton impatience a escamotée. Car ces critiques, tu les as bien cherchées. Il est encore temps de les retourner.
D'abord, je suis certain qu'au fond de toi tu ne comprends pas pourquoi tu fais l'objet de tant de commentaires négatifs alors qu'une bonne petite grève de l'entraînement n'a jamais tué un club. Dans le foot business, ça fait presque partie du décor, pas vrai? Pas plus tard qu'en ce moment, Gareth Bale s'est auto-attribué quelques jours de RTT en attendant son transfert au Real et on n'en fait pas tout un fromage.
Ce qu'il y a de différent, avec toi, c'est au moins ces deux choses qui auraient dû te pousser à plus de prudence :
1°) Tu viens nous sortir, nous Français, d'un rêve trop agréable pour être vrai, cette chimère selon laquelle tout avait changé depuis Knysna. On avait fini par se convaincre que l'aller-retour Le Havre - Paris en taxi n'était qu'un accident. Tu sais, celui de la précédente génération Espoirs, celle dont toi et tes potes devez prendre la relève. C'était beau, ce titre mondial U20 conquis par des jeunes solidaires et bien élevés dont tu faisais partie. C'était beau, aussi, cette finale européenne des U19 obtenue par d'autres jeunes solidaires et bien élevés. Et les excuses sans condition de Nasri cet été : beau boulot, là aussi.
Mais voilà Florian, à cause de toi, on n'y croit plus. La France va continuer à se convaincre que les jeunes footballeurs sont vraiment des gens sans foi ni loi, qu'ils le resteront, et que l'appât du gain les aveugle au point de remettre en cause tout le reste. Ce footeux immature et méchant a aujourd'hui ton nom et ton visage, jusqu'à ce que quelqu'un d'autre se risque aux mêmes agissements.
2°) Autre différence : les grévistes de ta trempe avaient tous fini par cracher sur leurs contrats après plusieurs années à défendre les couleurs de leur club, pour accélérer leur transfert. Cela n'excuse rien : cela reste un crachat adressé à l'entité qui vous rémunère très grassement. Mais ça n'a rien de commun avec ton propre cas, toi qui as cherché à tuer dans l'oeuf le premier vrai transfert de ta carrière avant même de mettre le pied dans ton club d'accueil.
Comprends bien Florian : tu donnes l'impression que Lille, ce n'est pas assez bien pour toi. Je dois te rappeler que tu n'as même pas 50 matches en pro derrière toi. A peine plus de 30 en L1. Personne ne sait ce que tu peux valoir dans une équipe qui joue le premier tiers du tableau. Es-tu certain d'être capable de faire, allez, quatre bons mois consécutifs dans une équipe plus attendue que Bastia ? Qu'est-ce qui te fait penser qu'il est mieux pour ta carrière d'aller directement te frotter aux exigences souvent irrationnelles d'un club comme l'OM alors que le LOSC est un club dans lequel Dimitri Payet a mis de trop longs mois avant de laisser éclater son potentiel ? Un club où Marvin Martin, ancien chouchou des Bleus, n'a toujours pas franchi le cap attendu ? Qu'est-ce qui te fait penser que les choses seront plus faciles pour toi alors que ta préparation aura été escamotée par le Mondial U20?
Des gens qui t'attendent à Lille ont été champions de France sans toi. A eux, et à un Salomon Kalou qui jouait à Chelsea il y a encore quinze mois, tu renvoies aujourd'hui l'idée qu'ils ne sont pas assez bons pour toi. Franchement, à leur place, je ferais cinq minutes de grève symbolique le jour de ta prochaine séance collective pour te remettre quelques idées en place. Manque de chance pour toi, Lille est un club qui sait y faire avec les joueurs qui oublient l'espace de quelques jours d'où ils viennent. Adil Rami avait tenté le coup de la grève, en son temps, pour rejoindre l'OM aussi, tiens. Il n'y a jamais mis les pieds.
C'est l'autre pilier du message que je souhaitais te transmettre ici : comment peux-tu ne pas mesurer la chance qui es la tienne aujourd'hui, au LOSC ? As-tu lu le témoignage de Jérémy Clément, cet été? Avant sa fracture tibia-péroné, il se promettait de ne pas durer dans le milieu du foot. Aujourd'hui, il annonce qu'il jouera aussi longtemps que possible. As-tu entendu l'auto-analyse de Samir Nasri, sur les pièges vicieux que lui a trop longtemps tendu son ego ? Que penses-tu de l'attitude de Jean-Michel Aulas vis-à-vis de Bafétimbi Gomis et comment réagirais-tu à la place de Bafé ? Enfin, Florian, as-tu oublié que les médecins te disaient perdus pour le football quand cette histoire de fissure à une vertèbre t'a pollué la vie à Grenoble ? Si, à cette date, quelqu'un t'avait dit que tu aurais, à vingt ans, un contrat à Lille, supérieur à 500.000 euros annuels, et une place de titulaire garantie, tu aurais signé des deux mains. Tu es en pleine santé, tu as un contrat dans l'un des meilleurs clubs français, tout le monde a envie de te voir jouer. Joue ! Marque ! Régale ! Tu cueilleras le reste comme un fruit mûr.
Bien sûr, tu sais probablement mieux que tout le monde ce qui est bon pour toi, où se situent ton ambition, tes mérites et les risques que tu peux prendre. Je ne te dénie pas ce droit, mais si tu situes ton talent et ton destin au niveau le plus haut, médite bien cette phrase qu'ont prononcée les meilleurs entraîneurs du monde sur la gestion des ego : les vrais grands joueurs ne posent jamais de problème à leur manager. Les soucis viennent toujours des fausses stars et de ceux qui se prennent pour ce qu'ils ne sont pas.
Tu as aussi le droit de te dire qu'à vingt ans, tu as le droit à l'erreur. Tu as raison : chacun a droit à un joker. Je pense que mes confrères sauront eux aussi passer l'éponge si tu en reviens à une façon plus professionnelle de gérer ta carrière. Je suis moins certain que le grand public saura le faire aussi vite et bien, quand on voit à quel point il reste distant envers Ribéry aujourd'hui malgré le niveau stratosphérique qu'il a eu parfois au Bayern l'an passé, mais je te promets d'essayer de faire passer le message. En tous les cas, une bonne petite campagne de comm' rédemptrice à la Nasri ou à la Ribéry te sera indispensable pour enterrer cet été abusif. Dans ce travail, tu seras aidé. Ton président, Michel Seydoux, a naguère réintégré un entraîneur qu'il avait lui-même viré et cherché à faire comme si tout était normal. Il saura te taper sur l'épaule comme un membre de la famille LOSC quand la fièvre sera retombée, lors de la conférence de presse de rabibochage à laquelle nous serons tous convoqués. N'aies aucune crainte là-dessus.
Tu pourrais aussi te dire qu'à vingt ans, ta carrière est devant toi, qu'il est possible de sacrifier quelque jours de celle-ci pour gagner une saison et accélérer ta marche en avant. Sur ce point, je ne te suivrais pas. Tant que tu n'es pas blessé, je t'engage à ne rien gâcher de la chance qui est la tienne et à bouffer le temps de jeu que ton talent te promet. Les exemples de Vincent Péricard ou, plus près de nous, de Yann M'Vila ou Hatem Ben Arfa, t'aideront à comprendre que le talent n'est pas grand chose dans une carrière sans une très grande discipline et une capacité à faire les bons choix au quotidien. Pour l'instant, tu n'as que le talent, comme des wagons d'autres avant toi qui n'ont pas fait le tiers de la carrière qui leur était promise.
Allez, je te laisse, je ne vais pas t'embêter plus longtemps. Ah si, une dernière chose : n'en veux pas aux dirigeants de l'OM si, d'un seul coup, tu les sens moins chauds à l'idée d'investir des sommes à sept chiffres sur ta personne. Il faut les comprendre : qui, à Marseille, aura envie de courir de le risque de subir ta possible grève de l'entraînement en janvier prochain pour rejoindre Newcastle ou Galatasaray ? Pardon ? Oui, j'ai bien écrit Newcastle et Galatasaray. Arf, je ne doute pas que tu vises plus haut, mais n'aie aucune illusion sur le fait que dans l'immense base de données qu'ils construisent pour leurs futurs mercatos, les grands clubs ont déjà annoté ton profil avec une série de commentaires dévalorisants concernant ton état d'esprit.
Florian, puisque l'argument financier te rends visiblement sensible cet été, sache que tu perds beaucoup plus que 1500 euros par jour avec ta grève du moment. Tu perds certains des contrats futurs auxquels tu pourrais aspirer, et quelques K-euros mensuels dans la base de négociation. Retiens au moins ceci de ce courrier si tu ne le savais pas déjà : les dribbles et les doublés brillants ne laissent pas plus de trace dans l'esprit des gens que le numéro auquel tu te livres en ce moment.
Au plaisir de te voir raviver le souvenir d'Eden Hazard sous le maillot lillois (je ne dirais pas ça à tout le monde!), je te souhaite une belle fin d'été.
Sportivement,
Bref, il se construit une belle image le jeune homme